Me voici revenu à Bashung. Comment cela se fait-il ? Je l'ai méprisé tant d'années... Peut-être la mort que je sens présente. Je l'avais quitté en 1986 avec "Passé le Rio Grande" et le mirobolant single "S.O.S. Amor", subtile et bavarde éclaircie d'absurde rigolo du parolier Boris Bergman et me voilà en train d'écouter "Comme un Légo", prêté au déjà malade Bashung par le grave et impitoyable Gérard Manset. On ne peut pas dire que la vie ait été légère à l'alsacien. Il avait trouvé une sorte de posture d'équilibriste du désespoir toujours élégant du temps où je l'écoutais plus jeune. Les bombes H et les SS 20 étaient désamorcés par des rires francs et terribles qu'on osait pas pousser jusqu'au bout, jusqu'aux conséquences ultimes, trop trash, trop, violentes. Bashung nous aidait à dédramatiser, chic envapé de fumées trop épaisses qui traînait sa carcasse dans les mêmes parages que nous. "Nous" ? Une bande d'artistes trop frais, trop naïfs, trop méchants, pas assez durcis, pas assez cyniques, pas assez comédiens. Des branleurs. Le temps a fait son oeuvre délétère. Et là, paf, maintenant, "Comme un Légo". Chloé Mons, la compagne de Bashung, disait un jour qu'elle s'était engueulé avec son homme parce que celui-ci avait décidé de la chanter sur scène et que, pour elle, ça voulait dire que Bashung abdiquait devant la Mort qui arrivait. C'était vrai. On ne chante pas les chansons de l'oracle Manset sans conséquence et le trouvère grave trouvait là un exorcisme final dans la litanie sépulcrale qu'il fallait sortir sans tergiverser, les yeux dans les yeux de la Mort et le poids de la Vie sur les épaules. Bashung à eu à coeur de finir comme ça, dans le sublime et calmement. La Beauté n'est plus alors une option, une conséquence, "toujours ça de pris", c'est un cadavre qu'on exhibe sur ses genoux et qu'on fait parler comme une poupée de ventriloque. C'est ce qu'il s'est astreint à faire, durement, lentement, sûrement, sans défaillir. Puis il est mort, bien sûr, libéré d'une quête aboutie, loin du Rio Grande, loin des oiseaux et des lavabos, simplement mort.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire