L'autre jour, j'écoutais Bertrand Blier, cinéaste fainéant, petite frappe et bourgeois, parler de la musique qu'il aime. Il racontait qu'il avait beaucoup aimé le Jazz jusqu'à l'arrivée de ceux qui, d'après lui, l'ont, je cite, "massacré", c'est à dire "Coltrane" et consort. C'est emmerdant, on dirait qu'il y a une espèce de fatalité à devenir un vieux con avec l'âge. J'en parle d'autant plus aisément concernant Bertrand Blier qu'il à toujours été réactionnaire et revendique une sorte de droit à vieillir "salement", à s'engager un peu plus à chaque fois sur la pente facile de la beauferie. Son père a eu le même parcours, il a commencé avec Jouvet et a fini avec Jean Yanne, en passant par Audiard. Jouvet faisait du Théâtre, Audiard du vélo. Une espèce de fatalité, disais-je, une fatalité aussi à rester bloqué sur les épanchements de ses 20 ans et à en finir crotté comme par de la bouse au derrière. Le tout mélangé faisant qu'on devient un vieux débris avant d'avoir eu le temps de dire "ouf", nostalgique et sénile, et, avec un peu de chance, riche et donc un pouvoir de nuisance plus ou moins grand. J'essaye de résister à tout ça et ce n'est pas facile. L'energie baisse, la pente naturelle est là... Pourtant j'écoute chaque jour des nouvelles musiques, j’élargis le spectre de ce qui m'arrive aux oreilles sans cesse et si j'écoute toujours Elvis Costello ou The Cure avec délectation, je peux désormais varier un peu les plaisirs avec du Cotrane, justement, du Don Cherry ou du Carl-Philip Emmanuel Bach et je suis loin d'avoir fait le tour de ce qu'un honnête homme peut entendre de beau dans sa vie. Suis-je une exception ? Oui et non. Oui, je suis différent de la majeure partie des hommes qui se laisse porter par une facilité infâme vers des goût formatés et une vie non-moins programmée (Il y a même une radio qui s'appelle "Nostalgie" : 25 ans d'excitation, 50 ans de purgatoire à rancir dans l'obscurité avant de sombrer dans la panne définitive). Non, gangrené par ce qui m'entoure, je finis parfois, au bout de 50 ans d'insoumission et de veille épuisante, par penser et par réagir comme un beauf assez lambda et il faut que je me surveille encore plus si je ne veux pas m'endormir dans le même dortoir pour veaux mort-vivants que les autres (on appelle ça "un salon", il y a un écran, plat ou pas).
Au-delà du résultat de cette résistance qui est bon, il existe deux façons très différentes de vivre sa révolte contre la fatalité de l'âge imbécile; l'une heureuse, l'autre malheureuse. La révolte heureuse est celle qui touche les personnes qui ne s'aperçoivent pas qu'ils sont dans une différence singulière. Pour eux, ce qu'ils sont coulent de source et ils s'arrangent très bien de ce qui les entoure immunisés par avance contre les chocs et les ennuis par une bonne nature et une complexion solide. La révolte malheureuse est plus courante, elle se caractérise par de l'acidité, du dépit, de la rancœur envers ses contemporains. Elle est Amour aussi mais sera vécue sur un mode douloureux car généralement plus absolue et consciente que la première et donc moins soluble dans le matériau volatile qu'est la Vie. Elle est plus pénible au jour le jour, nécessite plus d'effort, fatigue le corps et l'esprit et fait mourir jeune, généralement avec une pointe d'amertume. Ma révolte est de la seconde catégorie, malheureusement. Et même si j'éprouve une grande satisfaction à n'être pas aussi con que Bertrand Blier et tant d'autres qui nous envahissent, je me sens fatigué et je suis un peu aigri. Au départ, j'en voulais beaucoup, je croyais que c'était une part normale; les autres se sont ingéniés à me persuader que c'était trop, je les ai cru; au final je me suis fait gruger. M'en reste un goût amer.
Un de ses quatre, je vais faire comme "Peau de la vieille hutte" dans "Little Big Man", je vais aller m'allonger dehors et attendre que ça vienne. Ça va faire comme dans le film, ça va foirer et il va falloir que je retourne m'asseoir dans mon tipi attendre un jour plus propice. Je vois le plan arriver gros comme un calumet de la Paix.
Celui-là, jeune, il était bon, Vieux, il l'est aussi. Dans le Rock, c'est assez rare. Enfin, à ce point-là.
Neil Young. "Heart of gold".
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