mardi 29 octobre 2013

" Lou Raide is crashed" : Maïtre Ludovici (Arbitre)

Lou Reed est mort. Plutôt que de me lancer dans un panégyrique qui viendrait s'ajouter inutilement à ceux qu'on peut lire un peu partout, je vais essayer de dire quel a été mon rapport à cet homme tout au long de ma vie, qu'il a largement accompagnée.
Vers 12 ou 13 ans j'écoutais "Rock n' roll Animal" sur un magnétophone à pile en contemplant les étoiles avec un ami plus âgé que moi, allongés sur les pelouses bien tondues de la résidence où nous habitions. Les volutes de guitares entremêlées de l'intro de "Sweet Jane" me paraissaient une des choses les plus enchanteresses du monde. Plus tard, je ne pus ré-écouter ces notes sans déplaisir tant cela sentait la boursouflure et le Rock planant des 70's, mais pour le moment, dans la tiédeur d'une nuit d'été, nous confiant, mon ami et moi, des pensées et des envies profondes, cela me semblait une des choses les plus délicieuses que j'aie jamais entendue. La pochette et le nom de la cassette ne laissait pas de m'inquiéter et surtout la pause du blondinet qui l'ornait.
En grandissant, je me suis familiarisé avec la musique de Lou et de son groupe le Velvet, sans pour autant en devenir un inconditionnel. Je laissais à un ami auquel je pense ce soir le soin de devenir fan de l'artiste. Maxime doit être bien triste ces jours-ci.
Il y eut un drame dans ma vie. En conséquence de quoi, je me suis retrouvé dans une minuscule chambre de bonne à faire semblant d'aller à la fac, noyant ma dépression dans l'écoute de musiques tristes. Ma vie racornie par le manque d'argent ne me laissait que le plaisir malsain de ne pas me réveiller avant 13 heures et celui de manger de temps en temps de gigantesques croissants aux abricots. Au lieu de cela, j'aurais bien sûr du m'abreuver à des puits de savoir et m'accrocher aux seins fermes des jeunes femmes, mais non, mon état était par trop morbide.
Là, j'ai rencontré Lou Reed. J'ai acheté son album "Berlin", Dieu sait pourquoi et j'y ai frotté mon désespoir languide, et il m'a doucement, sournoisement, atrocement bercé. J'ai écrit quelques très beaux poèmes à cette époque, j'ai même fait le seul dessin à peu près potable de toute ma vie, je devenais un artiste triste et sophistiqué sous l'influence délétère de ce que j'écoutais jusqu'à plus soif ; toute cette musique de Dandy camé sertie d'arrangements mirifiques. Ah, combien de fois ai-je écouté les flûtes infernales de l'intro de "Sad song" ? Et les cris désespérés des gosses de "The kids" ? Ca avait de tout temps été les miens. Et il y avait un Mur à Berlin, et j'y fracassais ma cervelle sans cesse. Oh, ce petit filet de voix maladif de Lou ! Qu'il se glissait chaque jour un peu plus en moi en me vidant de ma vitalité. J'aurais pu mourir. Au lieu de cela, au moment où ça devenait tangent, on m'a trouvé du travail et je me suis accroché à la vie. Voilà le plus près que j'ai été de Reed.
J'ai laissé tomber Lou Reed jusqu'en 1989 et son album "New-York", celui de la résurrection....Je suis allé le voir en concert à l'Olympia. Le Concert était formidable. Quelques années plus tard j'ai eu honte pour mes amis qui se sont précipités au même Olympia pour voir Le Velvet reformé, alors qu'ils nous bassinaient depuis des lustres avec l'aura impeccable de groupe sans concession au succès du dit Velvet. Il y aurait des choses à dire sur la fidélité à ce qu'on peut être, sur les reniements qu'on doit faire à contre-coeur par force et ceux que l'on fait sans se l'avouer vraiment, qui ne sont au fond que l'aboutissement d'une tendance profonde qui s'émancipe de trop d'illusions qu'on se donnait à soi-même. Lou en connaissait un bout à ce sujet. Dans les années 90 et 2000, il a régulièrement donné de bonnes choses. Il est mort dimanche dernier après une vie bien remplie. Il ne devait pas être facile à vivre mais pas complètement mauvais non plus avec un sacré sens de l'humour bien noir. Il n'aurait jamais tenu si longtemps sinon.
Un clip en forme d'indice pour l'humour. "Modern Dances". 2000

Je mets celle-là parce que Lou y évoque un épisode fondamental de sa vie : les électrochocs qu'on lui a fait subir à son adolescence pour le "guérir" de ses tendances homosexuelles". Ca c'est vraiment ignoble. Il en fait une chanson enragée : "Kill your sons".1974

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