Cet après-midi, je suis allé voir une exposition consacrée à l'oeuvre du peintre Gilles Aillaud. On dit qu'il appartient au courant né en France dans les années 60 et qui s'appelle la Figuration Narrative mais voilà ses toiles sont muettes et ne racontent aucune histoire, contrairement à celles de Monory, Rancillac, Schlosser. Elles représentent toutes, du moins pendant une bonne partie de sa carrière, des animaux dans des zoos : des otaries dans des bassins, un orang-outan suspendu à des anneaux, une fosse aux lions morbide. C'est étonnant et énigmatique car la sensibilité du spectateur est bridée, voire annulée. Les animaux ont un violent pouvoir expressif chez les humains, qu'on les prenne comme symboles ou simplement pour ce qu'ils sont, une manifestation de la vie si proche de la notre. Cousins dont la proximité est évidente, ils ne laissent personne indifférent. Gilles Aillaud sait parfaitement "rendre" des animaux dans des attitudes vivantes, "parlantes", comme en témoigne les magnifiques dessins de ce qu'il a appelé "Encyclopédie de tous les animaux, y compris les minéraux", oeuvre colossale et splendide de son âge mûr, mais dans ses toiles c'est autre chose qui se met en place, il y la mise en oeuvre d'une négation de la sensation et de sa naissance dans l'histoire que le tableau met toujours en branle dans son jeu de forme. Ici, les barreaux des cages des animaux; les animaux eux-mêmes ni heureux ni malheureux, neutralisés: les couleurs mates, cliniques; les angles, ouverts sur rien empêchent les sens d'être touchés, sollicités, l'émotion d'arriver et le seul sens produit est celui du silence angoissé et d'une impossibilité du discours de la peinture. Plus loin, des aquarelles légères comme des plumes montrent le talent incroyable de Aillaud pour susciter des émotions simples face à des horizons marins plus ouverts même si peut-être aussi problématiques quand ils semblent parfois clôturer le dessin, ce qui, au passage, en dit long sur la maîtrise de l'artiste, qui ne se laissera aller aux grands espaces qu'à la toute fin de sa vie. Enfin, voilà une peinture bien problématique pour la sensibilité et qui en appelle à l'intelligence pour, non pas sortir de, mais comprendre l'aporie, l'impasse qu'elle désigne, qu'elle dessine. Les oeuvres ont toujours quelque chose à dire, elles questionnent souvent les conditions de leur propre discours, là elles nient sa possibilité même, ce n'est tout de même pas banal. Et n'est-ce pas inquiétant ? Fort heureusement, Gilles Aillaud est aussi un homme qui traite d'autres sujets et sur un autre mode. Moi, ça me fait du bien mais il est vrai qu'un rien m'angoisse.
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