Certains artistes ont la chance de pouvoir développer leur vision sur tout le cours d'une longue vie. C'est le cas de Gabriel Fauré, qui a pu mener à terme deux cycles majeurs de son œuvre jusqu'à sa vieillesse et sa mort : les treize Nocturnes et les treize Barcarolles. Écouter l'un de ces cycles tout à la suite est un plaisir ineffable, un privilège que nous offre l'histoire et le temps, maintenant qu'ils sont achevés. Chaque pièce a son charme unique et son originalité, et elle amène à la suivante, au fil de la maturation lente du musicien. Le tout dénote une intention et une évolution claire, une maîtrise de plus en plus affirmée avec l'âge. Fauré est rare, sa place et de toute première grandeur.
Voici la neuvième Barcarolle. Celle-là, elle chaloupe vraiment, tangue fort, presque à chavirer. Fauré y pousse déjà le système harmonique occidental dans ses derniers retranchements. Ce faisant, il s'abstrait des balises et livre une épure qui ne perd jamais son lyrisme mais le tient mieux et le presse en le cernant. Poignant, tranquille et fascinant de clarté. Il y a là une volonté sans faille d'aller à la plus noble expression d'un moi cultivé à son propre avantage. Et finalement, au nôtre.
Embarquons avec Fauré et l'une de ses plus grandes interprètes, Germaine Thyssens-Valentin, pour quelques minutes d'un très pur et très fugace bonheur. Un VRAI bonheur.
Charles Tournemire, qui succéda à Fauré à l'orgue de la Basilique Sainte Clotilde de Paris, a lui aussi développé sa vision sur toute la durée d'une longue vie. Ces œuvres symphonique sont colossales. On les redécouvre maintenant. Mais son tour de force est d'avoir mené à bien son ambition la plus grande, la plus folle peut-être : doter le calendrier liturgique catholique de musiques spécifiques à chacun des offices de l'année. C'est à dire les 52 dimanches plus, bien sur, les Fêtes de Noël, de Pâques, de la Pentecôte etc, etc. En fait, se hisser à l'égal du travail que Bach avait fait pour le calendrier Luthérien.
Je n'aime pas spécialement l'orgue, ni Bach d'ailleurs. Mais Tournemire, qui composa son cycle entre 1927 et 1932, est pour mon oreille de néophyte une bénédiction sans égal. Ca pourrait être un jeu de mot facile ; peut-être, peut-être pas, tant ses pièces transpirent la grâce et la nouveauté incessante du retour à la vie en Jésus-Christ. Je ne suis pas croyant, mais je peux concevoir ça sans trop d'effort. Et au delà de leur indéniable et stupéfiante spiritualité, les pièces pour orgue de Tournemire, tirées de ce qui s'appelle "L'Orgue Mystique", sont d'une fraicheur, d'une créativité, d'une profondeur qui emporte mon adhésion d'auditeur moderne. L'invention y est foisonnante, débordante, constante et elle court sans obstacle jusqu'aux expérimentations les plus récentes dans le domaine de la musique savante, comme dans celui de la musique populaire.
Je mets deux extraits de "l'Orgue Mystique" composés pour Noël et Pâques. Dites-vous bien qu'il y en comme ça pour tous les dimanches de l'année et les jours fériés. Ah, Charles Tournemire aurait un peu tiqué que j'appelle "jours fériés" les fêtes chrétiennes. Mais bon, tant pis. (Et merde, j'ai pas pu résister. Je suis
vraiment un incurable mécréant !)
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