jeudi 12 juin 2014

La chanson : En mineur ou en majeur, "Elle n'en finit pas de mourir..."

Courteline disait ceci : "Il n'est pas de genres inférieurs ; il n'est que des productions ratées, et le bouffon qui divertit prime le tragique qui n'émeut pas". Il ajoutait :"Exiger simplement et strictement des choses les qualités qu'elles ont la prétention d'avoir : tout le sens critique tient là-dedans".
Je n'ai jamais rien lu d'aussi net sur le travail critique, ni d'aussi vrai sur les genres.
Mr Serge Gainsbourg avait un soir agressé son petit camarade de jeu Guy Béart au prétexte que "la chanson est un art mineur, car elle ne demande aucune initiation" (contrairement à la musique savante). C'est vrai, on aura du mal à être au niveau d'un Messiaen ou d'un Dutilleux, si on ne sait jouer que "Frère Jacques" sur un carillon de gosse. Mais dans le même temps, si une chanson bien troussée ne demande pas autant de savoir et de virtuosité que le "Quatuor pour la fin des temps", ou bien "Métaboles", il faut y déployer néanmoins, pour qu'elle "marche", un talent infini et bien particulier qui n'appartient qu'à certains, qui ont aussi, comme tout bon artiste, un "style". Gainsbourg avait ce talent des chansons, à l'extrême. Tout et n'importe quoi, passé à sa moulinette devenait imparablement bon : aussi a-t-il fourni les chanteurs les plus divers en mélopées et paroles dignes de ses plus grands pairs, de Fabre d'Eglantine à Prévert et Kosma, justement cités dans une fameuse "chanson".
Le voici décalant complètement Dario Moreno de son registre "Mambo-Rigolo" habituel pour lui faire entonner une anachronique et mexicaine complainte révolutionnaire. Certains ricaneront peut-être, insensibles à la poésie et à l'imaginaire populaire, au tragique que cachait sous la gomina et la fine moustache l'histrion des îles de pacotille, moi, je pleure souvent en écoutant ce blues qui sent la sueur des péones et la fureur de Bizet, qui est aussi la mienne.
Et quand même, les révolutions russes et mexicaines n'ont-elles pas secoué idem ces pays de rage et de spasmes pendant des décennies rouges-sang sur neige ou sur chaux ? Gainsbourg le savait.
En dessous, je mets les paroles, elles sont tellement bonnes qu'elles tiennent presque toutes seules, comme la poésie. Ca, c'est très, très fort. Le seul truc qui soit en mineur là-dedans, c'est le mode. Elle est effectivement en La mineur.

Les étoiles sont des éclats de grenade
Qu'un jour en embuscade
Un desesperado
Desesperado
D'un geste de détresse
Vers la voûte céleste
Jeta au ciel là-haut

Serrant dans ses dents l'anneau de sa grenade
Voici que par bravade
Le desesperado
Desesperado
Prenant la nuit pour cible
Le ciel entier se crible
Du geste du héros
Les étoiles sont des éclats de grenade
Qu'un jour en embuscade
Un desesperado
Dans un geste sublime
Rejeta vers les cimes
Comme un oiseau de feu

Desesperado ta mauvaise étoile
Brille au firmament dans la nuit des temps
Desesperado parfois les nuages
Ont l'odeur de poudre la couleur du sang

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