mercredi 12 février 2014

Les Coasters étaient-ils juifs ? Ou Leiber et Stoller noirs ? Les deux, mon Général.

L'antisémitisme est de retour. Fais chier. Ça n'a pas suffit, une fois, l'horreur, le merdier incroyable ? On va remettre ça ? Sans avoir retenu aucune leçon de notre histoire, de nos histoires ? Ce sont pourtant de belles histoires souvent, des histoires singulières, un peu biscornues peut-être mais passionnantes.
Il semblerait qu'une partie de l'antisémitisme français de notre temps ait une origine "raciale", en plus des habituelles sérénades sociales et religieuses. C'est à dire que certains antisémites seraient issus des "quartiers" comme on dit, plus exactement de l'immigration beur et black, dont une grande partie se trouve malheureusement cantonnée dans les banlieues ("ils" devraient être PARTOUT) et qu'il aurait à voir, pour les arabes, avec le conflit israëlo-paliestinien, pour les noirs avec les misères incomparables mais comparées quand même de la Shoah et de la traite des esclaves africains.
Tout cela est débile, basé sur des représentations fausses, fantasmées que nous avons (je me mets dans le paquet, avec les français "de souche", pas plus fins que les autres) de nous mêmes et des autres, de notre peur des différences et des ressemblances DANS LE MÊME TEMPS, de nos façons stupides de nous limiter et de nous délimiter de manière abusive pour nous tous. J'avais l'habitude, quand j'étais à l'école de dessiner les frontières sur les cartes avec des pointillés, pas avec des lignes Maginot, ni Siegfried, et Lampédusa était le nom de l'auteur du roman "Le guépard", pas celui d'une île-camp de réfugiés.
De l'Histoire, même de la petite, celle des chansonnettes, on peut apprendre quelque chose. Certains blacks sont antisémites et revendiquent de manière abjecte leur part du gâteau de la Mémoire, une Mémoire qui se dessèche alors qu'elle devrait travailler, faire cogiter et retravailler encore notre patrimoine et nos identités. Voici une histoire de Rock n' Roll pour eux. Il était une fois aux Etats-Unis deux jeunes juifs qui écrivaient des chansons. Ils s'appelaient Jerry Leiber et Mike Stoller et ils ont composé un nombre considérable de succès pour tout un tas d'interprètes. Les deux plus importants furent Elvis Presley en personne et le groupe de Rythm n' Blues noir appelé les Coasters. Jerry Leiber avait grandi dans une banlieue défavorisée de Baltimore, et Mike Stoller dans le même genre d'environnement à Long Island (New-York). De ce qu'ils ont écrit pour Elvis vous connaissez sûrement "Houd Dog" et "Jailhouse rock", deux incontournables du répertoire du King. Il y en a d'autres. Là où ça devient intéressant pour nous, c'est le nombre incroyable de hits qu'ils ont composés pour les Coasters. Ça va de "Yaketi Yak" à "Charlie Brown", en passant par "Little Egypt" et "Along came Jones". Les Coasters, c'étaient des noirs pur arabica, élevés à la raide dans l'Amérique ségrégationniste des années 40, il fallait pas leur en raconter et il fallait surtout par leur faire chanter n'importe quoi. Fallait que ça sonne "Noir" avec un grand "N". Et ce sont deux juifs qui leur ont pondu toutes leurs chansons ou presque. Je vais citer Jerry Leiber, le traduire et vous allez comprendre pourquoi et comment ça s'est fait.
"I was brought up in black neighborhoods in South Baltimore. And we really felt like we were very black. We acted black and we spoke black. When I was a kid growing up, where I came from, it was hip to be black. To be white was kind of square."
"J'ai grandi dans des quartiers noirs du sud de Baltimore. Et on se sentait vraiment noirs. On se comportait comme des noirs et on parlait comme des noirs. Quand j'étais môme, là où j'habitais, c'était cool d'être noir. Etre blanc s'était être un peu coincé".
" I felt black. I was as far as I was concerned. And I wanted to be black for lots of reasons. They were better musicians, they were better athletes, they were not uptight about sex, and they knew how to enjoy life better than most people."
"Je me sentais noir. Je l'étais, autant que je me rappelle. Et je voulais être noir pour de multiples raisons. Ils étaient meilleurs musiciens, meilleurs athlètes, ils n'étaient pas coincés à propos du sexe, et savaient profiter de la vie mieux que la plupart des gens".
"The early influences, in many ways, were in Baltimore. I was passing open windows where there might be a radio playing something funky. In the summertime, sometimes there'd be a man sitting on a step, playing an acoustic guitar, playing some kind of folk blues. The seed had been planted."
"Mes influences premières, de plusieurs façons, viennent de Baltimore. Je passais devant des fenêtres ouvertes d'où sortait le son d'une radio qui jouait un truc funky. Pendant l'été, parfois, on pouvait voir un homme assis sur un perron, jouant sur sa guitare acoustique une espèce de vieux blues. La graine était plantée en moi".
Voilà, la morale de ces petites (et très grandes) phrases c'est que plus noirs que les Coasters ça n'existe pas, aussi noirs oui, ce sont deux juifs : Leiber et Stoller.
Une dernière citation pour la route, définitive. C'est toujours Leiber qui parle.
"Listen to any cantor, any good hazan, sing and you can hear a little bit of Ray Charles going on."
"Ecoutez n'importe quel Cantor (Chanteur religieux juif), n'importe quel bon Hazan (Chantre de Chœur dans les synagogues) chanter et vous pourrez entendre un petit peu de Ray Charles là-dedans."
Pourquoi s'énerver ? Nous sommes si proches et si différents. Il suffit d'écouter. L'âme n'a qu'un chant, modulé de différentes manières, mais, au fond, c'est le seul et unique.
The Coasters : "Little Egypt"

The Coasters : "Poison Ivy".

Cantor Liebele Waldman : Tanyo


Cheikh Raymond Leyris. Essayez de faire abstraction d'Enrico Macias, il n'est pas toujours de bonne compagnie.

Ah oui, Leiber et Stoller ont aussi écrit une des plus belles chansons de tous les temps "Is that all there is ?", chantée à l'origine par Peggy Lee, et accessoirement "Stuck in the middle with you" des Steelers Wheel, rendue à la popularité par Tarantino et la B.O. de "Reservoir's dog", mais tout ça, ce sont encore d'autres histoires.

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