Ah, ils m'auront fait du mal les frères Kouachi ! C'est comme si je m'étais pris un peu de leurs balles de Kalachnikov dans le buffet. Je me remets petit à petit de la disparition de mes amis lointains et de toujours, Wolinski et Cabu, et je recommence à prendre du plaisir à certaines évidences dont je retrouve la trace à peine effacée. Une chose me frappe, c'est l'inanité du cinéma à mon goût et l'immense pouvoir de la littérature sur moi. J'oublie presque tous les films que je vois alors que les livres me travaillent au corps en profondeur et durablement. J'ai lu un Conrad magnifique il y a peu qui s'appelle "Au bout du rouleau" J'ai appris que je n'étais pas encore au bout du mien. En fait, je n'ai jamais rien lu de Conrad qui ne soit pas génial. J'ai lu un Kipling aussi. Tout est enseignement dans ces livres, apprentissage, expérience transmutée en or pensée pour nos cervelles endormies ou paresseuses. Grâce à eux, nous allons ailleurs, plus loin, plus haut, et surtout nous faisons un petit pas de coté pour voir des choses que nous avions sous le nez et que nous n'apercevions pas sous un éclairage vulgaire. C'est ce que nous fait faire un grand écrivain; et non pas mariner dans les miasmes d'idéologies communes toutes plus rances les unes que les autres. Si Houellebecq était vraiment un grand écrivain, comme d'aucuns le prétendent, on apprendrait dans ces livres, non pas des choses sur l'écume des raisons qui font qu'on devrait avoir peur de l'Islam dans notre pays, mais des choses sur la peur elle-même et sur les rapports intimes, ceux de la peur entre autres, qu'entretiennent l'Occident et l'Islam.
Je vais citer un petit bout de Modiano, extrait de "Dimanches d'août". Un personnage parle :".............................................................................................
- Je ne vois pas ce que vous voulez dire...Vous savez, je m'occupais surtout des chevaux de ma mère...Elle avait deux trotteurs qu'elle faisait courir à Vincennes...
Il paraissait de si bonne foi que je pas voulu le contredire.
- Vous avez vu tout à l'heure le type qui chargeait mes manteaux dans la camionnette ? Eh bien, il joue aux courses... A mon avis il ne peut y avoir qu'un malentendu entre les hommes et les chevaux..
Se moquait-il de moi ? Non. Il avait toujours été dépourvu du moindre humour. Et la lumière du néon accentuait l'expression lasse et grave de son visage.
- Entre les chevaux et les hommes, ça ne colle que très rarement... J'ai beau lui dire qu'il a tort de jouer aux courses, il continue mais il ne gagne jamais...Et vous ? Toujours photographe ?......................................"
C'est très simple, et dans l'action du roman, ça a une résonance assez mince mais qui ira crescendo, cette façon de parler de cet homme, sa distance. C'est comme ça que ça fonctionne Modiano, ça prend de l'ampleur. Mais vous voyez cette petite remarque sur les chevaux et les hommes, et bien, c'est la vérité, la vérité toute nue. Je le sais, il m'arrive de jouer aux courses et je suis déjà monté sur un bourrin. Les péripéties d'un western ou les cavalcades de John Wayne n'y changeront rien, il y a un malentendu foncier entre les hommes et les chevaux, sinon les couses seraient une science exacte. De quel ordre, ce malentendu ? Un animal n'a rien à faire sur un autre animal pour se déplacer et encore moins pour faire du sport, c'est anti-naturel, aberrant, d'où certains problèmes récurrents, dus principalement à la bêtise humaine. Il y a aussi la question du rapport taille/puissance qui fausse tout entre les hommes et les chevaux, à moins...à moins de leur murmurer des secrets à l'oreille. Voilà une des choses fondamentales, parmi mille autres, que l'on peut apprendre dans un bon roman. Mais, en général, chez Patrick Modiano, on apprend des choses plus profondes sur l'identité et la mémoire et les liens vitaux qu'elles tissent, et c'est remuant comme toute bonne littérature. Il y a des choses à apprendre sur l'Islam et au-delà chez Durell, Bowles, Cossery, Tsirkas, Lawrence d'Arabie, Galland entre autres. Sur la peur, chez Conrad, Kafka, Celine, Matheson, Vercel, Barbusse... Pas chez Houellebecq. Houellebecq, c'est les pronostics du Quinté, à peine.
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