mercredi 10 septembre 2014

Une halte avec Stendhal.

Dans ses "Mémoires d'un touriste", Stendhal, suite à un concours de circonstances, se voit obligé de laisser sa calèche privée et de continuer son voyage à travers la France en malles-poste et diligences avec le commun des mortels comme acolyte. Ce n'est pas pour lui déplaire, voici ce qu'il dit :
" J'ai été élevé à voyager comme un simple commis du commerce dans les malles-poste et en diligence, et j'éprouve un sentiment dont je soupçonnais l'existence; c'est que, parmi les agréments de la vie, ceux-là seulement dont on jouissait à vingt-cinq ans sont en possession de plaire toujours"
Il insiste sur le plaisir qu'il a eu à finir le voyage de cette manière puis se réjouit des rencontres qu'il a faites et évoque comment il a pu contrer l'ennui qui parfois a pu naître dans certaines haltes par une attention redoublée à son travail d'écriture du soir.
Il ajoute ceci sur sa "solitude" :
"Mais, au total, je le répète, je me suis fort bien trouvé de cette solitude absolue d'un mois; sous prétexte de convenances et par la vanité que les gens communs mettent à les bien observer, la société se fait tous les jours plus hypocrite, qu'il est permis de trouver que ses gênes l'emportent sur ses agréments. Heurter les convenances ne serait rien sans le remords qui suit le crime, mais je suis peiné de voir la douleur de vanité que j'inflige à l'homme poli qui causait sans défiance avec moi, et qui reçoit tout à coup une réponse imprévue. Il entrevoit la possibilité de rester court"
On a reproché à Stendhal sa volonté molle voire sa sensiblerie "féminine". On voit ici qu'il était plutôt un homme qui rebutait à faire mal et préférait ne pas choquer, bien qu'il aimât plus que tout les passions fortes (et, pour lui, leurs pays de prédilection : l'Italie). Il préférait la prévenance aux convenances.
Plus loin il note cette phrase, courte et émouvante : "La diligence de La Charité s'est arrêtée un instant à Rousselan ; c'est un poste qui consiste en une seule maison au milieu d'un champ, environné de grands bois. Peu de sites m'ont donné davantage le sentiment de l'isolement complet, j'ai passé là un quart d'heure à me promener le long du bois, à cent pas de la ferme; j'étais heureux, je voyais à mes pied tous les chagrins du monde"
Et voilà bien le véritable scandale Stendhalien. Là, perdu au milieu du désert, dans "l'isolement complet", il trouve en lui sans peine les ressources pour être heureux, centre du monde tranquille à lui-même qu'il ménage et n'épuise jamais. Cette faculté-là, d'être souvent heureux, paradoxalement heureux quand le reste du monde à son vague à l'âme habituel, peu de gens lui pardonne. Il n'est pas raccord, il détonne. Hubert Juin, très bon critique oublié, avait défendu l'auteur en son temps et à sa manière, Philippe Sollers en a fait récemment l'éloge. Je reste, pour ma part un admirateur de l'homme et un amoureux de son style si particulier (notez qu'il emploie souvent les"...et,..."ça, normalement ça ne se fait pas) qui nous communique honnêtement des émotions fortes et des sensations rares. Ce n'est pas le bonheur de l'expression juste qui manque chez Stendhal, ni le bonheur tout court d'ailleurs.
PS : j'ai respecté les italiques du texte original. J'ai mis en gras ce qui me semble être la phrase la plus belle, la plus définitive.

Aucun commentaire: