samedi 2 avril 2011

O mort, Vieux Capitaine.....

Tous les fous ne sont pas artistes. La plupart des artistes sont sains d'esprit. Mais il est des fous qui sont des artistes et mieux encore des mages. Ils vont là ou nul avant ne s'aventurait, emportés par leur songe maladif, et explorent ce qui était barré d'un "Terra Incognita", avertissement salvateur autant qu'aveu d'un manque. Certains ont plus de mal que d'autres et de ce plus "négatif" ils tirent la force ou plutôt sont tirer de force par lui vers des terres communes mais dangereuses. Des trésors que ces mages font surgir au jour, d'autres qu'eux feront profit et connaissance, là où, pour eux, tout n'était qu'évidence et souffrance. Car ces artistes-là expérimentent dans leur chair ce dont tout le monde sent intuitivement qu'il vaut mieux se tenir à bonne distance. Deux exemples parmi d'autres. Gérard de Nerval, Poète de feu qui écrivit cela :

Le Temps

I

Le Temps ne surprend pas le sage ;
Mais du Temps le sage se rit,
Car lui seul en connaît l'usage ;
Des plaisirs que Dieu nous offrit,
Il sait embellir l'existence ;
Il sait sourire à l'espérance,
Quand l'espérance lui sourit.

II

Le bonheur n'est pas dans la gloire,
Dans les fers dorés d'une cour,
Dans les transports de la victoire,
Mais dans la lyre et dans l'amour.
Choisissons une jeune amante,
Un luth qui lui plaise et l'enchante ;
Aimons et chantons tour à tour !

III

" Illusions ! vaines images ! "
Nous dirons les tristes leçons
De ces mortels prétendus sages
Sur qui l'âge étend ses glaçons ; "
" Le bonheur n'est point sur la terre,
Votre amour n'est qu'une chimère,
Votre lyre n'a que des sons ! "

IV

Ah ! préférons cette chimère
À leur froide moralité ;
Fuyons leur voix triste et sévère ;
Si le mal est réalité,
Et si le bonheur est un songe,
Fixons les yeux sur le mensonge,
Pour ne pas voir la vérité.

V

Aimons au printemps de la vie,
Afin que d'un noir repentir
L'automne ne soit point suivie ;
Ne cherchons pas dans l'avenir
Le bonheur que Dieu nous dispense ;
Quand nous n'aurons plus l'espérance,
Nous garderons le souvenir.

VI

Jouissons de ce temps rapide
Qui laisse après lui des remords,
Si l'amour, dont l'ardeur nous guide,
N'a d'aussi rapides transports :
Profitons de l'adolescence,
Car la coupe de l'existence
Ne pétille que sur ses bords !

Et Thélonius Monk, diagnostiqué schizophrène, dont il a été dit qu'il jouait mal. C'est peut-être vrai mais ce qu'il joue est unique et si singulier que d'autres suivront, de loin.

2 commentaires:

Tiphaine a dit…

le poème de de nerval a la beauté cruelle de l'enfance, miroir de ce qu'on aurait pu être ou demeurer, cette faculté à habiter le présent sans remord, ce monde où comme dans les tableaux de Morandi les objets ont une âme et dessinent des possibilités. Finalement l'humain remonte le temps: il est d'abord papillon, virevoltant la vie, pour ensuite muer en chrysalide, adolescent enfermé dans un cocon de révolte fédérée ou solitaire qui aboutit à un adulte-chenille, rampant et souvent toxique.

bye!

Gael Coupé a dit…

C'est joli ce que vous dites. Nerval était à la fois dans le passé et le présent, le rêve et la réalité, à l'intérieur de lui-même et tout étranger à son corps ce qui fit de lui à la fois un malade nerveux et un très grand poête. Quoi ! une trentaine de poèmes pas plus et il est "le poète" par excellence. Quelle réussite inconsciente et pleinement savante, quel adoubement de la postérité ! Baudelaire, un autre très bon, disait de la Poésie qu'elle était "un investissement à très long terme mais qui rapporte très très très gros". En effet ces deux-là, entre autres, nous sont plus proches que bien de nos contemporains et nous semblent plus vivants. Magie pure et simple de l'Art. Et ces vers, ces vers là :
" Car la coupe de l'existence
Ne pétille que sur ses bords !"
Nerval, vieux frère, tu savais bien des choses et cela aussi.
Morandi savait lui la vie et la poésie des choses. C'est beaucoup et il nous transmet beaucoup de l' émotion de son regard sur les objets. Quand aux papillons ce sont des créatures quasi chimériques qui existent bel et bien et c'est là aussi une espèce de Magie offerte à nos sens. Ce n'est pas que je veuille ré-enchanter le monde, non, il suffit d'ouvrir un peu la porte de notre sensibilité et ça vient tout seul. Après, il faut écrire.