lundi 8 juin 2015

Bonne nuit, Mr Thornhill !

Alors, reprenons les choses là où nous les avions laissées. Maman vient de me border pour la nuit. De sa bouche qui sent la cerise et qui est si douce elle dépose un baiser sur ma joue. Je ferme les yeux puis les ouvre très vite pour saisir une dernière vision du visage de ma mère dont le profil disparait dans la lumière qui jaillit de la porte de la chambre qu'elle entr'ouvre. Mon père se glisse alors sans bruit par celle-ci et dit "Alors mon bonhomme, c'est l'heure." Je frémis d'impatience. Papa s'assied dans le noir sur une chaise à coté de mon lit et commence à parler "Il était une fois..."Je n'existe plus.  Je n'ai plus conscience de moi, je vois dans mon esprtit les choses que mon père décrit et les héros dont il raconte les actions. Toujours, comme tous les soirs sans exception, il y aura de l'action, du suspens, un bref moment d'angoisse aiguë vite surmonté et un beau dénouement, et aussi, une touche d'humour qui m'arrachera un rire etouffé. Mon père se penche sur moi et m'embrasse sur le front. Il dit "Bonne nuit mon fils." - il sent le tabac - et quitte la pièce. Je ne le regarde pas partir. Dans l'obscurité qui se fait dès qu'il a fermé la porte derrière lui, les silhouettes qu'il a évoquées dans mon âme se mettent à vivre et à danser devant mes yeux en une ronde qui marche à ma guise comme si j'étais le vent soufllant sur les feuilles mortes. Il y a là deux croque-morts ridicules, un cheval qui parle et compte, des monstres tristes de n'avoir pas d'oreilles, des indiens farouches et gros fumeurs, un magicien qui disparait toujours au moment où on croit l'attraper, une créature furieuse qui s'appelle une "goule" et qui revient parfois dans le creux de la nuit noire, une jolie petite fille aux cheveux d'or et aux desseins impénétrables... Cela tourne devant moi, je regarde bien chaque détail et puis mes yeux fatiguent, ils se ferment et je m'endors. Ce qui se passe alors dans ma tête quand je dors semble appartenir à une autre vie, une vie innervée de la vraie mais une autre vie quand même, différente, inaccessible, étrange. Dans cette vie, mes deux parents sont déjà morts plusieurs fois, moi-même, j'échappe à la fin par des subterfuges sans logique ni potentialité, des miracles. Mais dans quel ordre de la réalité ou de la fiction sont vraiment les miracles ? Dans les baisers successifs de mes parents ? Dans les histoires sans fin de mon père ? Dans les songes plus ordonnés qu'il n'y paraît de la nuit et du sommeil ? Quelque chose a été inventé pour décider de cet indécidable et c'est le cinéma. Pourquoi non ? Oui, après toutes les misères de l'existence et les repentirs de la fête qui finit, pourquoi pas un petit film, cette nuit, dans le noir ?

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