vendredi 10 octobre 2014

Contre Duchamp


 L'autre jour dans la version web du journal Le Monde, je lis ces mots sur Marcel Duchamp :
"Soucieux à chaque instant de sa vie et de sa carrière de réinventer la peinture, il confiera : « Je voulais m'éloigner de l'acte physique de la peinture. J'étais nettement plus intéressé à recréer des idées dans la peinture [...]. Je voulais remettre la peinture au service de l'esprit. »"
Une toile de Duchamp accompagnait cette petite citation, celle-ci.
On ne peut rêver tableau illustrant plus précisément un propos. Voilà des formes coupées de leurs racines sensibles, désincarnées. Une peinture qui va à l'encontre même de ce qu'est la peinture : un acte du corps qui engage toute la personne, y compris l'esprit. Une peinture qu'on dira mentale. Voilà le contre-sens de Duchamp, un contre-sens qui va alimenter tout le 20eme siècle, celui de la déconstruction. Il n' y a pas là "l'Esprit des Formes", cher à Elie Faure, mais un esprit qui cherche, sur la toile, à ne pas faire forme, à attaquer la peinture dans ce qu'elle a de plus vivant et de plus émouvant. L'émotion, voilà l'ennemie de Duchamp, il n'y en a pas beaucoup dans les parties d'échec qu'il affectionnait, pas plus dans sa peinture. Reste sa cohérence, indéniable, une rationalité folle qu'il mènera à terme, sa dernière oeuvre s'intitulant du nom d'un des chaînons d'un raisonnement logique "Etant donné". Quoi ?. Pour Duchamp, il n'y a pas de réponse et l'oeuvre reste à jamais close sur elle-même, énigmatique. Quand il est mort, Picasso a eu ces mots : "Il avait tort". Et effectivement, il faut choisir, on est du coté de Duchamp ou de celui de Picasso. On ne peut pas bouffer à ces deux râteliers diamétralement opposés. Je suis du coté du Grand Maître espagnol des formes du siècle passé et des autres mordus de la toile émouvante, qui joue avec l'ouverture sensible et module des infinités de formes pour nous tous, pour notre plaisir et notre gouverne. Le geste d'insensibilisation de Duchanp a eu beaucoup d'héritiers, qui le font (de commerce) et le refont sur un cadavre qui n'arrête pas de bouger car indéfectiblement vivant. Laissons ces charognards remplir leurs comptes en banque et festoyer à ce qu'il croient être un enterrement. Toujours, partout, sous mille formes, la peinture renaît. Nous renaissons.

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