samedi 19 juin 2010

FACES ( pas celles de Cassavetes )

On peut toujours dire de David Lean qu'il aimait filmer d'amples sujets roboratifs, brassant situations historiques riches et personnages complexes, voire démesurés. On peut dire ça, je pense, de " La fille de Ryan", que je regarde sans le son, en écoutant les Broken Social Scene. Le film est d'une rare maîtrise technique quant au montage, aux cadrages, aux lumières et tout le toutim. C'est simple : c'est parfait. On peut effectivement penser que Lean écrase Sarah Miles entre l'immensité du ciel et du désir de son personnage et les terres lépreuses, la cote délavée d'Irlande, la maladresse d'un mari gourd, à l'affût des émois successifs que l'intrigue va provoquer chez son héroïne, prompt à monter le tout en une sorte d'épopée un rien soap-opéra qui finirait en cosmogonie de poche digeste, pour grand écran certes, mais bon, ce n'est que du cinéma (art mineur, ne jamais l'oublier). 
Ce que je me dis, c'est qu'il était peut-être plus humble que ça, plus rêveur, plus mineur que mineur, David Lean. Je me dis qu'il avait peut-être juste voulu filmer Sarah Miles, comme il la voyait, cette femme à la beauté atypique, néanmoins désirable au plus haut point (d'ailleurs dans la vie, le moins qu'on puisse dire est qu'elle avait le sang chaud) et que pour ça il a pris un drôle de chemin, que tous ces plans sophistiqués la caressent, la bercent, la cherchent et la trouvent, toujours très expressive, disponible, à l'exacte et respectueuse distance de l'amour du metteur en scène pour son interprète. J'ai le sentiment qu'il avait déjà fait ça pour Julie Christie dans "Docteur Jivago ", qu'il le refera pour Judy Davis dans " La route des Indes" et qu'il l'a fait pour ses acteurs aussi, Peter O Toole dans " Lawrence d'Arabie" et Alec Guiness dans "Le pont de la Rivière Kwaï ". Alors si son sujet ce n'est pas les sagas héroïco-historiques mais SON désir et SON amour, Lean a une bien singulière manière de le montrer, de le manifester. Ses acteurs et les personnages qu'ils incarnent, seront toujours bousculés par l'Histoire, par des forces qui les dépassent, par leur propre ambition et au final, après des heures de spectacles épiques que me reste-t-il de ces films, si ce n'est les visages de Sarah Miles, Julie Christie et les autres, lointains, diaphanes, virginales, appétissants comme si on ne pouvait voir quelqu'un vraiment que lessivé par des heures et des mois de baroud et d'aventures et que l'apparition revenu comme furtive devenait pour le coup tenace et inoubliable, à l'exacte et respectueuse distance de l'amour d'une personne pour une autre. Comme ces " Brèves Rencontres" que l'on fait dans les gares où tout est possible parce qu'impossible et qui impriment parfois durablement dans la mémoire des visages si peu et tant aimés. C'est assez humble comme résultat si l'on fait le ratio avec le nombre d'Oscars qu'ont raflé ses films. N'empêche c'est peut-être ça qui reste et qui nous est transmis : l'amour des traits d'un visage d'un acteur ou d'une actrice, oui, c'est ça qui va me rester quand je vais éteindre la bécane et la télé : l'amour du visage de Sarah Miles. C'est peu ? Vous trouvez ? Alors pourquoi il y a-t-il une si grande différence entre Julie Chritie dans " Loin de la foule déchainée ", excellent film de John Schlesinger, et Julie Christie dans le " Docteur Jivago ", dont le point de départ est justement le souvenir d'un visage ? Pourquoi avons-nous un destin magnifiquement filmé d'un coté et LARA De l'autre ? Lent travail de décantation et de sublimation d'un Maître-Rêveur, d'un Magicien, d'un Voyant, presque Peintre, presque Artiste, presque Poète . Non, j'ai tort. Poète.



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