dimanche 6 septembre 2015

Ris donc, Caliban !

Je suis en train de lire un truc que j'aurais du lire depuis longtemps : "Rigodon" de Louis-Ferdinand Céline. Le problème avec Céline, c'est qu'il a beau être infréquentable du fait de son action collabo avec les Allemands en 39-45, au vingtième siècle et même là, après la guerre, juste avant de calancher, c'est un des tous meilleurs, un styliste hors-pair. En fait, il n'est mauvais que pendant la guerre, là où il a vraiment eu les coudées franches pour dire tout ce qu'il voulait. Là, il a éructé, il a craché sa bile dans tous les sens, sur tous le monde et ça ne tenait plus la route, ça débordait, ça bavait, ce n'était plus bon. Donc, exit "L'école des cadavres", "Les beaux draps" et dans une moindre mesure " Bagatelle pour un massacre" (je dis dans une moindre mesure parce que dans ce livre-là il n'est pas encore complètement "déchainé" et que, donc, c'est parfois bon).
Mais avant la guerre et après, il est tenu, retenu par une sorte de "réserve" que lui impose la société française comme elle va et là, il mesure, oh que oui, et c'est au cordeau;  du ciselè pur-jus, de l'Art grande cuvée, toujours sur la très pure corde du contre-ut casse-gueule mais tenu.
Alors donc, dans "Rigodon", il raconte la fin de son périple en Allemagne pendant la défaite des Nazis qui le conduira au Danemark où il se terrera avant que Jean Paulhan ne puisse le faire revenir en France sans qu'il soit fusillé, et franchement, c'est tordant, en plus d'être bien écrit comme jamais. A un moment il raconte un peu son présent à Meudon et il explique que Roger Nimier vient le voir pour trouver avec lui un truc de gauche qu'il a bien du faire dans sa vie, même sans s'en rendre compte, parce que Céline, il est bon, mais il est pas défendable. Céline cherche, cherche, c'est dur mais il trouve : c'est Elsa Triolet, impeccable communiste et compagne du "povoite" (Aragon), qui a traduit le "Voyage au bout de la nuit" en russe d'U.R.S.S. Bon, ça tombera à l'eau aussi, ce truc-là. Mais la façon dont il raconte son espèce d'épopée branquignolle de train en train dans une Allemagne en ruines, accompagné de son chat Bébert, de sa femme, de l'acteur Le Vigan et d'une bande de gogols locaux croustillants est tout simplement hilarante. Et je le répète, tout est écrit au cordeau. Il y a une phrase là-dedans qui m'a marqué, preuve qu'il est encore bien leste intellectuellement : "La première fois est tragique, la seconde fois est grotesque". Ca se tient plutôt bien comme citation "définitive", comme aurait dit Sacha Guitry.
Je mets cette vidéo pour illustrer mon article. Céline y est interviewé par Pierre Dumayet en 1957, avant "Rigodon", pour ce qui constitue un autre livre de souvenirs (lui, il dit qu'il est "chroniqueur", pas acteur) : "D'un chateau l'autre". Céline s'y montre tour à tour hilarant (quand il se compare à une "fine chienne de traineau") émouvant (quand il parle de son enfance au Passage Choisel à Paris) et très très roué et malin (quand il parle de "l'affaire Pétain"). La fin, les tous derniers mots, sont incroyables

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