vendredi 6 juillet 2012

Iconophilie maladive.

J'ai lu quelque part sur la Toile que des photos d'athlètes américains font "scandale". Elles seraient "iconoclastes" car elles ne montreraient pas les stars du sport US sous leur meilleur jour. Je les ai vu, elles ne sont pas "laides", elles sont simplement banales. Mais l'affaire en dit long sur le statut des images dans notre société. Force est de constater qu'il existerait maintenant des images "iconoclastes", c'est à dire qui n'aiment pas, ou qui détruisent les images elle-mêmes. Qu'est-ce que cela veut dire ? Comment est-ce possible ? C'est que l'image se doit maintenant d'être "une belle image", c'est à dire soignée, réparée de ce qui pourrait la rattacher à une forme de réel. Elle doit être image pure où rien ne détonne,où tout correspond à un phantasme (au sens de fantôme) de netteté, de propreté, de perfection, et oui, je ne vois pas comment le dire autrement, de pureté. C'est l'image sans modèle, ou plutôt c'est une image qui modèle le réel comme nous le voulons, et justement le réel est ce qui leste l'image, ce qui fait obstacle à notre jouissance pure de voyeur érotomane. Nous voulons voir ce qui nous plait, ou encore, nous voulons voir selon notre bon plaisir, ou encore, nous voulons voir notre plaisir. Voilà notre façon de concevoir les images, non plus traces du réel, mais trace anticipée de notre désir de nous-mêmes, plus beaux, plus forts, plus nets, refermés sur nous-mêmes dans le jeu sans fin de l'entre-soi et soi, tirés au cordeau, coupés au carré par "l'objectif". On ne peux plus se voir en peinture, mais on veut se voir "comme une image", comme des images qui sont devenues notre réalité, une réalité vidée de son poids de tristesse et de peine.
Au tout début de la photo, William Fox Talbot a pris une série de photos et a intitulé son recueil : "Pencil of Nature", c'est à dire "le Pinceau de la Nature". Il pensait qu'il n'avait qu'à poser son appareil quelque part et que l'on verrait apparaitre ce que la Nature avait voulu faire, la Nature au travail. Il s'agissait de recueillir les traces de ce travail, ni plus, ni moins. C'était déjà énorme, mais ce n'était pas aussi simple. Déjà William Fox Talbot "soignait" ses photos, sans trop se le dire peut-être, et déjà, sous nos yeux, la Nature captive, prise, mourrait, devenait fantôme. Voilà, comme dit Jean-Christophe Bailly, le pouvoir de la photographie, son grand pouvoir : rendre fantomatique le réel, le faire disparaitre au profit de quelque chose d'autre : ce qu'on veut qu'elle soit. Et dès lors, il n'y eut pas longtemps à attendre pour que la volonté que le réel soit une "belle image" advienne et lui fasse la peau. Cette image plus "vrai que nature", plus forte que nous, isolée, dans un flux continu d'autres images isolées, produites sans fin, se sont nos fantasmes, au vrai sens du terme, c'est-à-dire une production "propre", une mise en scène d'images de soi, en soi. Et voilà pourquoi ces images, quand elles arrivent, quand on les voit devant soi, font jouir ; parce que, dès lors, elles font apparaitre nos productions/fantasmes et on n'a plus le choix, on ne peut que se masturber devant elles et jouir. Et voilà aussi pourquoi, dans toutes les images photographiques, dans tous les films se trouve une intention pornographique dissimulée : voir ce qui est caché, ce qui se passe dans la tête, dans les rêveries érotiques et le rendre visible. Ainsi le cinéma est confortable et l'on peut voir Kim Novak ou Grace Kelly devenir des phantasmes d'Hitchcock, et finalement les nôtres, tant était grande sa faculté à "soigner" ses perversions, et ses images, en les partageant avec nous. Le cinéma est une férule, les images une tyrannie, c'est vrai, mais les deux n'appartiennent qu'à nous seuls, et à nous seuls il est permis de faire la part du feu, de l'Ombre et de la Lumière, pour ne pas se consumer entièrement, comme Narcisse le fit jadis, dans une consommation endogène de soi-même, devant le miroir déformant des "belles images". Comment faire ? Éteindre les écrans, ouvrir les yeux, bien regarder le réel, il n'y en a pas trente-six (pas encore) et, dans le meilleur des cas, peindre.
Et maintenant regardez bien ce que nous montre Stanley Donen quand il veut parodier Hitchcock. Stanley Donen sait tellement ce que sont les images que plus personne ne lui a confié de caméra depuis 1984. Il sait tellement comment Hitchcock filmait et ce qu'il aimait filmer qu'il va jouer carte sur table avec nous dans une scène de fétichisme du pied, avec Sophia Loren (mais peu importe)et un inquiétant homme à lunette (ah, tiens donc, des loupes). Ca commence vraiment à être dans le vif (ou plutôt le mort) du "sujet" vers la troisième minute mais tout est bon.

Aucun commentaire: