samedi 6 décembre 2008

jeudi 4 décembre 2008

Les yeux propres

Quelques images pour se laver la tête et s'émerveiller comme les enfants qui, comme dit Jacques Roubaud " ont d'abord la tête pleine de choses, puis on la vide, puis on la remplit d'autres chose." Des choses inutiles, des rêves et des images d'adultes, des images des autres. Voici des images d'enfant.

mercredi 3 décembre 2008

BULL(sh)IT


ABSTRACTION, DROITES, COURBES, GEOMETRIE : OU SOMMES-NOUS ? A SAN FRANSCICO OU N'IMPORTE OU DANS LE MONDE ?

BULLSHIT

Depuis maintenant une quarantaine d'années les images photographiques et filmées ont connu une évolution fulgurante et étonnante. Elles sont devenues autonomes. Avant une image "représentait" une chose, un objet, un visage, un acte, elle était médiane ou média, comme on dit, c'est à dire a la fois objet en tant que tel et trace d'autre chose. Il y avait dans l'image une dimension d'épiphanie, d'apparition, de révélation et finalement d'incarnation mais aussi une dimension purement ludique, fascinante, hypnotisante, captant le regard, qui épuise la première si on n'y prend garde ( Lang l'a bien montré me semble-t-il) c'est l'image du voyeur et de son maître l'exhibitioniste. C'est l'image du manipulateur, l'image crue du pornographe. Les images se sont dénudées, ont perdus leurs habits, leurs interprétations et la distance qu'elles impliquent que les photographes et réalisateurs devaient savamment mettre au point pour qu'on y voit quelque chose, elles sont maintenant de "belles images"(comme dit Scorcese), nues, sans autre justification que cette beauté inhérente qui ne susciterait pas " Le Sens" par "les Sens" (définition de la fonction de l'Art par Bibi) mais seulement d'autres "belles images" à venir. Le média s'est finalement affranchi de son créateur, de ses spectateurs, de la réalité qu'il ne montre plus, qu'il ne fait plus sentir, qu'il rendait tangible par son invention. L'Art c'est l'invention du réel (rebelote). La réalité en retour a foutu le camp, les spectateurs sont devenus fantômes dans une galerie de "looks", de regards perdus à l'infini dans l'entre deux de deux miroirs qui se font face (où être ?), les créateurs d'images ne font plus sens mais sont des générateurs de flashs fluides, d'un continuum de sensations , agréables ou pas mais qui meublent l'entre deux (comme Ikea), ne s'arrêtant jamais (là). Il est toujours midi quelque part dans le monde donc il est toujours midi dans ce flux d'image qui ne renvoie plus qu'à lui-même. L'espace et le temps de chacun se dilate, s'allonge, se perd dans des images rémanentes qui n'en forment plus qu'une, permanente, espace-temps sans cesse refermé sur sa propre clôture, abstrait du réel. Ainsi, il me semble que les gens qui voient trop de ce genres d'images n'arrivent plus à avoir une conscience claire d'une différence entre eux et ce qu'on leur montre et , partant, ont du mal à se forger une représentation du monde ou ils pourraient se penser, se sentir "chez eux" ( "chez eux" la plupart du temps c'est là où il y a leur télé), à affiner leur ressenti et à définir leurs propres images, leurs propres idées, leurs propres envies et les moyens de les mettre en oeuvre. Reste le champ global de la consommation et de la production réduites à leur minimum d'expression et de valeur, comme si nous n'étions plus que des tubes digestifs avec des yeux, salivant ou pleurant en chien de Pavlov aux stimuli ad hoc. Reste le champ infini de la jouissance du voyeur devant de " belles images ".C'est le règne de la télé-réalité, télé devenue substitut de réalité, substitut du désir de réalité, désir de la télé, désir d'être soi-même une "belle image", et de la publicité, image qui ne donne plus à chacun un substrat collectif plus ou moins inconscient, comme le faisait le cinéma et la télé des débuts, mais un simulacre d'appartenance à une collectivité quelconque définie par l'acte d'achat ou les goûts, aussi indiscutables que volatiles. Voila le mot qu'utilisait Baudrillard pour parler de la réalité maintenant : un simulacre, c'est à dire la réalité travestie, "transgendrée", aplatie par l'image devenue enfin elle-même, despotique, surréelle, autonome. Pour tous et pour chacun son image, dans ce déroulant dont nous sommes les victimes terrorisées et excitées par notre naufrage et l'apparition à ce générique de fin du monde de notre nom enfin sous la lumière artificielle de ce Midi éternel.
Tout ça pour parler d'un film qui a participé à cette évolution, l'aggravant et la démasquant tout à la fois, un film intelligent qui nous rend complice de sa propre vacuité par la jouissance que nous éprouvons à presque disparaître avec lui, niés mais consentants ( comme l'est toujours le spectateur de ces "belles images"). Ce film c'est "Bullit" de Peter Yates. Le problème que Yates pose à son héros, interprété par Steve Mac Queen, est celui de savoir s'il va s'opposer au simulacre de justice qu'on lui tend comme un miroir et si finalement il avalera la pillule de sa démission devant un réel en cours de virtualisation dérrière de "belles images" bien proprettes qui peinent à le simuler et dissimulent un merdier bien odoriférant. Problème épineux. Il y va de l'avenir des images, de celui du réel, du nôtre. Dans le film des corps disparaissent ou sont esquamotés ou morts au lieu d'être vivants ou l'inverse, des corps sont des morts-vivants, quoi !, des millions de dollars ont été, sont et resteront virtuels, tout devient abstrait. C'est la que le spectateur s'angoisse et qu'il prend part au films en voyant toutes ces "belle images" Le film serpente, dessine des figures géométriques fascinantes et vides, enchante par la maestria de ses images-cadres de vacuité et nous amène au même problème que le héros. Allons-nous succomber au charme indéniable du simulacre qui est mis en scène, par ceux que Mac Queen affronte et par Peter Yates, avec tout l'artifice et l'attrait voulu et allons nous sombrer, avec Mac Queen, dans ces simulacres morbides que sont l'intrigue du film et le film lui-même ? Dailleurs nous sombrons presque entierement MAIS. ... Il y a un mais, qui s'appelle Mac Queen. Seul, par sa présence marmoréenne, Steve Mac Queen, pourtant icône high-tech décontractée s'il en est, par son corps qu'il ne bouge qu'imperceptiblement, même s'il court par exemple, sauve le monde de sa destinée liquide vers le tout à l'égout. Je n'invente pas grand-chose. A un moment du film Mac Queen tient a peu près ce discours de rempart protecteur face à la pourriture à sa pure et tendre dulcinée, Jacqueline Bisset. C'est peu dire que Mac Queen joue son personnage tout en retenue. L'interprétation qu'il donne est parfaite, on dirait qu'il a une chiasse monstre et qu'il serre les fesses de toute sa puissance pour éviter de se liquéfier sur place comme le monde semble le faire autour de lui. C'est quasiment surhumain mais il parle entre ses dents et tient le coup. C'est un film tout en courbes lentes et langoureuse (ah han), en petites touches insistantes (ah han), en plans fixes stylisés (ah han), sans sentiments (ah han), avec une musique suggestive 70's (ah han) à l'avenant, qui se laisse siroter benoitement et qui nous absorbe tout heureux. Il incite par son esthétique à se laisser couler hors du réel, à laisser faire, à se laisser faire. Ca coulisse bien à San-Franscisco si vous voyez ce que je veux dire. Mais justement de cela, du mal, du sale, de la vaseline et de la merde, tout est dissimulé et l'on va suivre avec anxiété la lutte du héros pour que la réalité existe face à son clonage imagier et suivre en parallel un dispositif imagier semblable qui est le film et qui masque en une apparente beauté toute la misère à survivre du réel. Que va faire Mac Queen ? Il va faire OBSTACLE. Le corps de Mac Queen est un drôle de rempart, puisque lui-même presque entièrement érotisé. C'est dans le "presque" que tient tout le film. Avec son corps "presque" encore là, Mac Queen fait obstacle à la déliquescence morbide ambiante ET à celle que nous vivons en direct en nous noyant dans ces "belles images", au mal que nous devenons. Mac Queen n'est "presque" plus qu'un corps de plus dans le flux des autres estomacs sur pattes mais pas tout à fait. Il lui reste une once d'humanité toute concentré dans sa volonté de fer qui maintient ses sphincters serrés. La question est : tiendra-t-il jusqu'au bout ? et, corollaire, serons nous sauvé du plaisir coupable des amateurs de porno soft, sauvés d'être les témoins consentants et jouisseurs de notre propre décadence voyeuriste ? La question sera tranchée au bout d'une longue courbe, ou plutôt d'une suite interminable de courbes, celles qu'emprunte la course poursuite entre deux voitures, celle de Mac Queen et celle des tueurs à ces trousses. Cette course-poursuite en voiture est le point culminant du film et son condensé express. Elle peut aussi bien s'écouter les yeux fermés que se regarder avidement tant elle est "presque" parfaitement fluide. Il n'y a "presque", presque plus personne. seuls les deux bruits différents des moteurs alternent. On attend avec avidité, mais sans suspense, la fin de la trajectoire qui se terminera par le bruit adéquat, l'explosion de la voiture des méchants, qui nous laissera là, fascinés, avilis mais finalement sauvés de justesse, la bouteille de jus de pruneau à la main et la mâchoire se dessérant lentement. Ouf ! on est passé à "ça", le corps de Mac Queen, de notre réduction à l'état définitif de voyeur-jouisseur et d'une perte totale de conscience de soi et du monde. Merci Steve ! Mac Queen ira encore plus loin dans l'abstraction, la déréalisation ,et presque l'absurde, dans un autre film fascinant : "Le Mans". Un truc insensé mais qui laisse lubrifié comme un go-go danseur à qui l'on tendrait un poing vengeur à la fin de son show. Croustillant, non ?